Télétravail : l’envers du décor

Si le télétravail a pu améliorer les conditions de vie personnelle de nombreux collaborateurs (gain de temps, pénibilité des transports, autonomie), la question se pose de plus en plus de savoir si ce confort particulier est une réalité ou un mirage, et qui plus est, s’il sert réellement l’intérêt général.

Selon une récente enquête Harris Interactive (février 2022), 91% des Français, tous métiers et âges confondus, estiment que les difficultés psychologiques sont de plus en plus répandues au travail et 60% estiment que leur entreprise ne met pas en place de solutions pour améliorer leur bien-être mental.

Ces résultats semblent dissonants avec l’étendard du bonheur enfin retrouvé via la généralisation du télétravail. De quelles difficultés psychologiques s’agit-il ?

Les DRH que nous rencontrons s’accordent tous à poser les mêmes constats : le télétravail concourt à un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle, en même temps, les salariés souffrent d’isolement et regrettent les interactions de couloir ou de la machine à café ; l’autonomie dans l’organisation du travail est une responsabilisation efficiente du collaborateur, en même temps, elle nuit à la nécessaire proximité du manager (68% des salariés souffrent de manque de considération de leur hiérarchie) ; la visioconférence introduit une flexibilité d’organisation des réunions, en même temps elle soustrait à ses participants la spontanéité des échanges ou le ressenti de l’état d’esprit de chacun, le communautarisme des partages de fichiers facilite le travail collaboratif, en même temps il neutralise la créativité personnelle permise par la prise de recul et le face à face avec soi-même ; la réduction ou le réaménagement des bureaux adaptée au travail hybride permet la réduction des coûts, en même temps elle nuit à la cohésion interne nourrie par la vie commune ; la communication est facilitée par les canaux virtuels, en même temps, elle est biaisée par ses faux semblants et génère souvent des incompréhensions ou des frustrations ; le collaborateur n’est pas toujours disponible quand on en a besoin, en même temps, il « a piscine » ou toute autre occupation parfaitement légitime mais qui ne se concevait pas il y a encore peu sur des heures de travail, sauf exception.

La liste est loin d’être exhaustive ; les constats sont en revanche unanimes et l’on voit depuis quelques mois de nombreuses demandes d’accompagnement pour remobiliser les collaborateurs autour d’un projet et/ou de la vie d’entreprise. La flexibilité de présence, reçue au départ comme une chance, une parenthèse savoureuse, est devenue bien trop vite un droit opposable au manager. Une autre difficulté s’ajoute à ce glissement : tous les postes ne sont pas transposables au travail hybride, ce qui génère non seulement un déséquilibre de traitement entre les salariés, mais induit surtout des dommages collatéraux auprès de ceux qui n’ont pas le choix que de rester fidèles au poste et qui subissent les ballotages de présentiel ou de distanciel des uns et des autres.

Qu’est devenu ce Meilleur des mondes espéré par cette nouvelle philosophie du travail ? Pour beaucoup, un paradigme perdu, générateur d’une violence latente ou exprimée, destructeur insidieux de la nature profonde de la personne, naturellement conçue pour s’enrichir de l’autre plus que pour satisfaire ses besoins personnels.  85% des salariés estiment que l’amélioration du bien-être mental renforcerait leur fidélité à leur entreprise : n’est-ce pas là la preuve qu’il faut considérer ce que nous avons vécu comme transitoire et non comme idéal ?

A l’heure où l’employabilité a rarement été aussi forte et où les entreprises peinent pourtant à recruter, ne devraient-elles pas se pencher sur ce qui attire et fidélise les talents ?

A l’heure où les managers ont des objectifs audacieux sans horizon fixe, ne devraient-ils pas se soucier de la vraie qualité de vie au travail qui seule est promesse de productivité ?

A l’heure où l’écologie et la RSE sont devenues les sésames de l’être et de l’agir, n’est-il pas temps d’y intégrer au premier chef l’écologie humaine et particulièrement  l’attention portée aux personnes sensibles ?

« Si tu veux être un chef un jour, pense à ceux qui te sont confiés ; si tu ralentis, ils s’arrêtent ; si tu faiblis, ils flanchent ; si tu t’assieds, ils se couchent ; si tu critiques, ils démolissent. Mais si tu marches devant, ils te dépasseront ; si tu donnes la main, ils donneront leur peau ».

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